mardi, mai 02, 2006

Alexandre Minkowski : mes hommages

Le système français d'éducation... constitue en fait
une remarquable machine à fabriquer des crétins.
Il me convenait parfaitement, j'y fis merveille.
A Minkowski

Les études, les profs, cela n'a jamais été mon truc, j'aimais pourtant apprendre ; ce que je n'aimais pas, c'était la sanction qui tombait, l'oeil réprobateur du maître d'école, c'était le choix qu'il faisait pour moi, de ce que je devais étudier, de ce à quoi je devais m'intéresser. Je détestais cette dictature du savoir, je me rebellais en silence, ne refusant pas l'effort pour ce qui me passionnait, dédaignant le reste.
Malgré tout, j'aurais pû devenir professeur des écoles, en suivant la lignée familiale, mais je m'y suis refusée et puis de bonne heure, j'ai été inscrite d’office à la Grande école de la vie, il a fallu la gagner, quelle formule : gagner sa vie !!! ou la perdre ??? Je ne me suis à l'époque pas posé la question. C’est comme cela que je me suis réconciliée avec les professeurs, pour d'autres raisons avec le monde médical également, comme quoi, on n’échappe pas à son destin ; certaines rencontres sont déterminantes : celui qui m’a domptée, ou plutôt hypnotisée le premier, c’est un professeur de médecine, mon premier patron, un pionnier de la néonatologie en France. Nous avons fait de très belles choses ensemble, lui c’était un homme de coeur avant tout. Je sais que plus jamais je n’aurais de Directeur de sa trempe, et les suivants, insipides, n’auront même pas reçu ma considération. A cette époque, aussi modestement qu’il soit, j’avais le sentiment de participer à des causes utiles, ce qui n’est plus vrai aujourd’hui. La politique et la recherche étaient déjà étroitement liées, mais j’ai l’impression que l’une n’avait pas encore pris le total ascendant sur l’autre, ne s’était pas perdue dans sa vocation.

Je me souviens d’un homme pourtant affairé entre un rendez-vous avec le Ministre, les plateaux télé et les voyages à l’autre bout de la terre, s’asseyant dans son grand fauteuil en cuir et me disant : Sandrine, si nous prenions un café Maure ensemble ? Que pensez-vous de mon bouquin ? Vous croyez qu’il va intéresser des gens ? Demain, aurez-vous du temps pour que nous y travaillions ensemble ? C’est ainsi qu’il m’a présentée à l’éditrice Odile Jacob. J'avais 18 ans à peine, il m’appelait sa perle rare. Entre les heures intensives de travail, nous en avons eu des moments de franches rigolades, qu'il était drôle ! on se tapait sur l'épaule comme de bons camarades, en signe de reconnaissance mutuelle. Il était comme cela Alexandre, et il tenait à ce que je l’appelle par son prénom. Il me l’avait demandé un jour devant le Directeur Général de l’Inserm ! Ce grand homme était dans la lumière, mais tournait toujours un peu le projecteur vers ceux qui étaient à ses côtés. Par dessus tout, il considérait l’autre, qu’il soit né dans les favelas de Rio de Janeiro, qu’il soit aide-soignant ou simple technicien de labo, il avait toujours un mot gentil, une attention. Quand il poussait sa gueulante, c’était contre l’injustice ! ça grondait dans les couloirs, la porte de son bureau claquait, on ne plaisantait pas avec ses combats. Dans un de ses livres il écrit ceci "Nous oublions souvent qu'au-delà de nos titres et de nos positions hierarchiques, au-delà même de notre savoir et de notre pouvoir, nous sommes des hommes embarqués ensemble dans une même aventure et sur le même bateau."

Quand il s’est senti vieillir, il m’a confié un papier signé de sa main, me demandant de m’en servir si un jour cela m’était utile, gage de la complicité que nous avions l’un et l’autre et de la confiance qu’il me portait. J’ai toujours ce papier, mais ce que je garde au plus profond de moi, ce sont les souvenirs de ces années passées avec lui. Ce fût une chance unique d’enrichissement, d’épanouissement professionnel et personnel exceptionnels, où la rigueur, la précision, l’investissement plein et entier de soi étaient de mise.
Je peux dire que je lui dois beaucoup, qu'au delà du métier qu'il m'a appris, j'ai une éternelle tendresse, admiration bien sûr, pour cet homme qui jusqu'à la fin de sa vie a lutté pour la cause humaniste.
Une page s’est tournée, Alexandre ne m’invitera plus jamais à la Closerie des Lilas, des heures précieuses, à me confier ses doutes et ses espoirs. Il n’ouvrira plus les séances des Congrès que nous organisions ensemble, ne militera plus pour le Droit au Logement, ni à celui des femmes et des enfants du monde, les prématurés de la Maternité de Port-Royal devront compter sans lui, tout comme les réfugiés politiques que nous accueillions dans le service, Minko comme nous l'appelions tous en a fini avec ses révoltes, le vieil homme a rejoint le Royaume des Anges. Moi, j’ai perdu un père pour la seconde fois.
Le chef de l'Etat rend hommage à l'une des consciences du XXème siècle et à l'homme d'action qui fut de tous les combats qui honorent l'humanité. Nous sommes le 12 mai 2004, je me trouve dans la Cours d’Honneur des Invalides, son ami Bernard Kouchner, selon les dernières volontés du défunt homme, rend hommage à tout le personnel soignant qui l’a accompagné jusqu’à sa fin.
Il manque et je pleurs pendant que son fils Marc, dirige de sa magistrale baguette le dernier concert offert. Ceux qui l’on connu savent que ce n’est pas le fait de son impertinence, si c’est dans la petite Chapelle que l’on est venu dire Adieu à ce « Juif pas très catholique », du titre d’un de ses ouvrages.

Nous sommes tous et toutes de la poussière d’étoiles…


Alexandre Minkowski, 5 décembre 1915- 7 mai 2004.
Eminent pédiatre, Alexandre Minkowski a su, tout au long de sa carrière, conjuguer avec brio ses activités hospitalo-universitaires et celles de recherche. L'organisation de son unité Inserm, proche de l'unité de soins intensifs des prématurés, lui a permis de faire collaborer des disciplines comme la neurologie néonatale et fœtale, l'électro-encéphalographie, la biochimie, la bactériologie… Ses travaux de recherche dans le domaine de la physiologie du nouveau-né, du prématuré et du fœtus ou concernant le développement du système nerveux central, la réparation du cerveau chez l'enfant après traumatisme de guerre (comme les génocides en Bosnie, au Rwanda et au Cambodge) lui ont permis de participer activement à la réflexion sur les questions de société majeures. Son engagement s'est traduit tant au niveau collectif qu'individuel, notamment comme membre du Haut conseil de la famille et de la population de la présidence de la république et conseiller scientifique de l'association « Partage avec les enfants du Monde ».

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