lundi, mars 26, 2007

Escapades





Ces derniers mois ne m'ont pas laissé beaucoup d'espace pour la rédaction ou du moins peu d'énergie à y consacrer. Je devais parler ici de mes vacances estivales, et puis déjà un nouveau printemps arrive, les mots de l'été dernier sont esquissés sur un carnet. Doucement ils prennent une forme, et pendant que je prends ce recul toujours nécessaire à l'écriture , de nouveaux détails réapparaissent, d'autres phrases, d'autres idées surgissent, le récit prend de l'ampleur, du volume, et du temps... entrainant des détours sur d'autres sujets à développer ; mais plus le temps passe et plus j'ai le sentiment qu'ils sont un prétexte à ne le jamais terminer. Au fur et à mesure, commence un travail intime avec moi-même, mes souvenirs d'enfant, ceux d'adulte, provoquant parfois le bouleversement, la crainte ou plutôt le refus d'en finir avec ce récit. J'ai cherché à comprendre pourquoi les mots qui me viennent si facilement d'habitude, ne sortaient pas, pourquoi je n'avançais pas et j'ai compris. Compris qu'au moment où s'inscrira le dernier mot de la dernière phrase, lui succèdera le point final que je refuse, car à ces souvenirs, je veux y mettre des points de suspension... puisque d'autres plus immédiats sont déjà là. Au fond, j'ai réalisé aussi que j'écrivais comme je vivais, de la même manière que j'aime, avec ce besoin de certitudes et d'éternité. Je cite un auteur que j'apprécie, "le temps que l'on passe à écrire est perdu à vivre"... mais l'on ne peut écrire sans avoir un peu vécu et je n'en fini pas de vivre, il me faut trouver le bon compromis. Je peux dire simplement que le fil conducteur du récit inachevé est le rapport au temps, c'est un thème qui revient régulièrement dans mes écrits et un sujet qui habite chacun de nous . Les mots ont ceci de terrible sur la page, qu'ils deviennent définitifs.


En attendant, je mets en ligne un petit feed-back sur ma vie passée, ce qu'elle a été au moins en partie, j'invite ceux qui n'ont pu partager ces moments à une ballade au coeur de Paris, le Paris secret que j'aime , celui des impasses, des jardins cachés, des cours intérieures, le Paris des vieux music-halls, des artistes, le Paris des métiers oubliés, l'atelier du luthier, la boutique de l'herboriste, les modèles du chapelier. C'est le Paname de la môme Piaf colorisé, le Paris de Doisneau en version numérique, suivez le guide, les autres, souvenez-vous.....

Quelques liens sont là pour ceux qui souhaitent pousser plus loin les portes de l'évasion, mais l'imagination sera toujours votre meilleur compagnon dans ce voyage.



-Escapade I


Ma journée parenthèse est passée, c'est celle que je m'accorde une fois par an, traditionnellement à l'automne, pour y faire ce qui me plaît, un jour de semaine, quand le reste du monde travaille, ce décalage d'avec les autres est vraiment savoureux et je l'apprécie avec ma compagne de jeux, Anne, dite Ninon. Tout a commencé donc ce 1er octobre, quand le jour s'est levé dans la douce lumière des derniers rayons du soleil venue chatouiller mes paupières encore lourdes de sommeil. D'un saut, j'ai quitté mon lit douillet, déjà impatiente à l'idée des surprises que nous découvririons et de la complicité qui en naîtrait. J'ai choisi ma plus belle toilette, celle de satin et de velours violet, bariolée d'iris et de pensées moirées ; je me suis également pomponnée, bijoutée, parfumée, car cette journée ne serait pas comme toutes les autres et viendrait briser le quotidien, l'habitude. J'ai donc tenté d'être à l'image de ce jour exceptionnel. Enfin prêtre, j'ai retrouvé Ninon, qui elle aussi avait soigné son apparence, nous étions nous et peut-être aussi bientôt de nouvelles nous. Notre itinéraire avait été soigneusement programmé, mais pas trop "timé" , pour les surprises, l'imprévu !!! Nous nous sommes donc engouffrées dans le métropolitain qui devait nous conduire à la Bastille pour commencer, où nous avions rendez-vous à l'agence Bout d'Essai : nous allions postuler pour faire de la figuration. Déjà en retard, nous sommes entrées dans un vieil immeuble de la rue de la Roquette qui ne payait pas plus de mine que l'agence. Notre tour venu, nous nous sommes entretenues avec un soit disant recruteur de "talents" à qui nous avons présenté nos photos noir et blanc (façon cinoche) que nous avions scrupuleusement faites faire par un ami. Il nous a expliqué que l'inscription à l'agence était gratuite, mais que nos photos n'étaient pas "pro" et il nous proposait de nous faire des photographies pour deux mille huit cents francs ! à moins que nous ne connaissions un photographe professionnel qui pourrait le faire. Qu'à cela ne tienne, je lui ai rétorqué que j'avais un ami photographe qui travaille à New-York pour Gala et Voici et qu'il s'en chargerait ; un peu déstabilisé et surpris par ma réponse, il a bien senti que nous ne tomberions pas dans le piège des agences bidons qui se font de l'argent sur les cuisses des midinettes qui croient à la gloire facile ! Ce n'est pas aux vieux singes que ... Nous sommes donc parties, non pas déçues, mais écroulées par la tête du type et soulagées aussi de ne pas avoir terminé dans un charter pour les îles lointaines où l'on nous aurait plus destinées à la prostitution qu'au tournage grand écran, et de n'avoir pas dû utiliser notre code secret d'alerte à la suspicion "tu as un cil sur la joue", message précurseur à traduire par "Ripons nos galoches, ça sent le roussi !" Depuis, on rappelle le fameux F. en lui promettant peu de temps avant de fermer boutique, car, nous allons dénoncer cette arnaque à qui de droit. Nous étant fait confirmer que ni Ninon, ni moi, ne serions vedette de sitôt, le cœur léger, nous avons repris nos chemins de traverse qui allaient nous mener quelques portes cochères plus loin, à hauteur d'un vieil escalier, chez mon complice et aimé frère où nous allions passer la nuit, bien plus tard, quand toutes les étoiles du ciel seraient allumées. Nous avons alors franchi la voûte de sa lourde porte de bois et sommes entrées réchauffer nos mains soumises aux premiers souffles du vent annonciateur d'un hiver rigoureux. A l'heure du thé, nous avons bu un café chaud, car nous n'étions pas prêtes à aller nous coucher. En regardant des photographies de New York qui prenait une toute autre dimension à écouter les commentaires d'un Fred enchanté et séduit par le savoir vivre américain et les petits écureuils de Central Park, nous avons fait un beau voyage Outre-Atlantique http://www.cnewyork.net/centralpark.htm.

Puis, d'un seul coup d'un seul, nous sommes allées nous baigner dans la foule pressée des sorties de bureau, pour rejoindre à pas lents et légers la place de la République, illuminée par les lumières d'un carrousel qui faisait tourner les têtes ravies des gamins à califourchon sur les chevaux de bois, qu'ils avaient pris soin de choisir, sous l'œil tout à la fois attendri et impatient de leurs mères. Les aiguilles de la grosse horloge plantée comme un Mirador sur la façade de la Mairie leur rappelaient encore qu'il faudrait bientôt se précipiter au foyer. Le temps nous appartenait ; comme il était délicieux de voir ces hommes d'affaires, ces employés, ces ménagères, courir après l'on ne sait quoi, nous témoins de cette vélocité, pour qui la minute était en suspend. Au hasard des vitrines accrocheuses, nous avons poursuivi notre escapade, nous régalant ici d'un chapeau à larges bords, là d'une robe brodée en taffetas et soie, nous amusant de l'automate resté figé sur notre passage devant ce vieux café aux peintures jaunies. Un peu fatiguées et affamées par notre marche, nous avons quitté le grand boulevard pour bifurquer dans une toute petite rue à l'abri des klaxons et de l'agitation de la ville, puis nous nous sommes laissées séduire par la devanture rouge d'un restaurant chinois où nous avons dîné de pâtés impériaux, de riz cantonnais et de fruits frais. La soirée n'était pas encore à son apothéose, car en vérité, le meilleur moment que nous avions su attendre patiemment allait arriver sans trop tarder encore. http://www.pariscool.com/
A quelques mètres de là, au cœur du Théâtre de la Renaissance, nous attendait celui qui était à l'origine de cette journée chômée : Nilda Fernandez.

Tranquillement, nous nous sommes approchées du lieu où se terminerait l'inoubliable, ce soir de fête. Au pied du théâtre, deux roulottes, une verte et une jaune, un petit âne gris et sur la placette en face, six juments Comtoises gentiment attelées, une affiche : "la ballade de Nilda" ; nous avions fait la notre, il présentait la sienne, celle menée par ses chevaux de Barcelone à Paris.
Intimidées par cette scène touchante, nous avons grimpé les escaliers et nous sommes dirigées à l'avant-scène où nos fauteuils rouges nous attendaient. L'artiste se fit attendre une heure, le temps de nous laisser découvrir les peintures du plafond pareilles à un ciel ouvert, les petits balcons dorés sur trois étages au bord desquels de petits anges pâles tiennent par miracle.
Outre le public venu nombreux, son ami et non moins admirateur, Georges Moustaki est venu l'écouter. Le rideau pourpre est déjà levé et laisse apparaître une scène décorée de bottes de paille, de maïs, branchages et autres souvenirs ramenés de nos campagnes. Au centre, un vieux tableau noir éclairé d'une lampe à huile ou une élève studieuse nous avertit à la poudre de craie que le spectacle commence.


Une silhouette frêle fait office d'ombre chinoise quand l'éclairagiste met ses néons en route, un cercle de lumière éclaire le petit homme impressionné qui laisse échapper sa première note qui monte, haute, très haute, et soulève fort, très fort, l'émotion, sous une foule d'applaudissements.
Le voilà alors au bout de la route avec ceux qui ont suivi son chemin, ses musiciens.
A sa droite, Sergio, un homme aux allures de Gitan, grosses moustaches et cheveux longs, qui jouera la guitare électrique.
Marcel, l'accordéoniste : lunettes noires sur le nez révélant une cécité totale. A gauche Rodriguo, à la guitare accoustique, Simon aux percussions et bien sûr Gilles Coquard, son vieux compagnon à la basse. Le chanteur ne cache pas l'émotion qu'il a eu à partager cette aventure avec ses hommes, il nous en parle, d'ailleurs il parle beaucoup, car cet homme-là ne se déplace que pour le véritable échange. Il nous dit qu'avoir vécu ensemble, côte à côte, jours et nuits, lui a appris beaucoup sur la vie en groupe, sur l'effacement de soi et les concessions qu'elle impose. Il évoque aussi ses rencontres avec les villageois, nous présente sa collection "d'interdits" qu'ils ont "emportés" avec la bande : des pancartes plantées dans le décor "Pêche Interdite", "Baignade Interdite" et se demande de quoi est privée une "Propriété Privée" si ce n'est de tout le reste autour, une jolie manière de voir les choses.
Puis, il alterne avec des titres comme "Nos Fiançailles", ou "La Gitana", des poèmes d'Antonio Machado, une chanson de Lluis Llach et de nouvelles créations "Thanksgiving day", "Innu Nikamu" qui revendiquent l'action concernant le sort des Amérindiens.
Au total, deux heures de rythmes endiablés, de mélodies intimistes qui nous laissent suspendus à la veine bleutée de sa voix. Quand la dernière guirlande d'ampoules s'est éteinte, il était déjà tard, mais personne n'avait envie d'aller se coucher, les doigts rougis par tant et tant d'applaudissements, nous sommes allées au cœur de la nuit, dire un dernier au revoir aux chevaux d'attelage, espérant saluer à nouveau, jusqu'à une autre fois, le saltimbanque des temps modernes ; Nous sommes restées là un instant à la sortie des artistes pour échanger nos impressions, nous avons croisé une Emmanuelle Béart ravie, puis n'ayant pas vu pointer le museau du Catalan, nous sommes rentrées nous coucher, foulant le sol des rues noires de Paris qui dormait profondément. Jusqu'au petit matin, nous avons rêvé, et à l'éveil du nouveau jour, rien n'était plus comme avant, les pendules s'étaient arrêtées, il nous fallait retrouver notre vraie vie, le travail, le métro, les autos, et tout cela nous semblait tellement pauvre et dérisoire que notre esprit était loin de nos corps qui s'agitaient pour être à l'heure au bureau, ne pas rater le train ...
http://www.theatredelarenaissance.com/


- Escapade II


Après notre dernière fugue, d'octobre, nous sommes restées plusieurs semaines dans l'univers qui n'appartient qu'à nous, celui de nos jardins cachés que le monde ne devine pas. Nous nous sommes à nouveau éclipsées un jour de pleine lune, lorsqu'elle est la plus belle : ronde et rousse et qu'elle fait rougir le ciel de tant de beauté.
Parties du Cloître de Port-Royal dont les murs ont cent fois entendu nos prières, nous sommes allées faire un nouveau voyage secret.

En empruntant la rue Saint-Jacques, on s'offrit à la fois d'admirer le colossal bâtiment du Val-de-Grâce, la façade de l'église Saint-Jacques-du-Haut-Pas, puis celle du Collège de France. Passée la rue des Ecoles, nous sommes arrivées au Jardin des Plantes. Nous avons marché sur le tapis de feuilles qu'il nous déroulait. Jusqu'au Muséum d'Histoire Naturelle, la ville portait des guillemets qui lui allaient très bien. De pelouses en gazons, nous avons fait le plein de chlorophylle et notre amour pour l'insolite nous conduit jusqu'à la Mosquée de Paris. Les étudiants du quartier ont l'habitude de venir y remplir leurs heures perdues et le brouhaha de leurs conversations me rappelait l'animation des rues de Casablanca. Un petit salon où se mêlent les cuivres et les arabesques des plafonds accueille tout ce monde venu se retrouver devant le thé à la menthe et les pâtisseries au miel. Nous n'avons pas résisté à ces délices, aux mosaïques, à la volupté des fauteuils, ni même au fouillis du souk qui ferma ses portes derrière nous.
http://www.la-mosquee.com/index.htm
Puisque notre route s'était tracée jusqu'ici d'empruntes mystiques, nous avons décidé de refaire notre pèlerinage, nous nous sommes laissées porter au sommet du Sacré Cœur, en surplomb de la cité, rappelées ensuite par l'écho des ruelles jusqu'à la place des Abbesses.

De toutes, elle est notre préférée, paisible comme celle d'un petit village, elle a sa fontaine, ses bancs, son café et surtout son église aux superbes vitraux. Le temps semble s'être arrêté, tout y est paisible. Le bruit s'y feutre comme un matin de neige, s'étouffe dans les bras de ses vieux immeubles. Nous aimons aussi prendre son passage qui mène à une cours intérieure, il y a toujours une fenêtre ouverte qui laisse échapper les notes d'un saxo, un vieux vélo garé et sûrement une dame très âgée qui donne à manger aux chats vagabonds.
Nous aimons tellement être les spectatrices de ce monde retiré, que nous restons des heures à la terrasse du Saint-Jean où le cafetier inscrit encore ses menus sur une ardoise d'écolier. Assises sur nos chaises cannelées, nous regardons les passants, scrutant les habitués et les gens du quartier. A chacun nous lui imaginons un métier, et passe souvent un peintre, un musicien, un poète et c'est sûrement vrai.
Nous réinventons notre vie et celle des autres, nous mettant à rêver que nous leur vendons des violettes et des brins de muguet ou bien que nous brodons les extravagances des hommes efféminés.
http://www.lesvertugadins.fr/

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